mercredi 12 septembre 2012

Indication Géographique Protégée depuis 1996

Aux origines de l'Emmental Grand Cru


Histoire de la fabrication d'Emmental en France

L'origine des fromages en forme de meules et de pâte pressée cuite (Gruyère, Comté, Abondance, Beaufort, Emmental) remonte à l'antiquité, le berceau historique se situant vraisemblablement au cœur de la région montagneuse du Sbrinz en Suisse. Cette technologie innovante s'est ensuite exportée vers le nord de l'Italie (Parmesan), dans les Alpes, le Jura, puis dans le massif vosgien.
Les premières mentions écrites faisant allusion aux fromages alpestres ont été répertoriées chez Pline. En France, il faut attendre le 12ème siècle, lorsqu'en 1185 l'abbé de Saint Oyan (Jura) fait valoir une redevance en fromages à l'abbé de Grandvaux. Les textes deviennent plus nombreux et plus détaillés à partir du 13ème siècle, avec la compilation de documents reproduits dans le cartulaire d'Hugues 1er de Chalon-Arlay (1317 et 1319). Ces textes font notamment apparaitre le terme de "vachelin", qui désignait une grande meule de fromage, ainsi que le mot "fructerie", que l'on retrouve aujourd'hui dans la dénomination de fruitière, qui désigne un atelier de fabrication de fromages appartenant à une association communautaire de producteurs de lait.
L'économie de montagne au Moyen Age reposait alors sur un système autarcique, fondé sur l'exploitation des ressources saisonnières. La production laitière était abondante l'été, lorsque les bergers conduisaient leur troupeau de vaches sur les hauts pâturages des montagnes. La technique de fabrication des grandes meules de fromage apportait une solution pour la conservation de ce lait pendant la période hivernale. L'expression de « fromages de garde », accordée encore de nos jours aux meules à pâte pressée cuite, se rapporte à cette pratique. Après fabrication, les fromages étaient transportés jusque dans la vallée pour l'hiver. Peu à peu, la fabrication de ces fromages nécessitant des volumes de lait importants (jusqu'à 900 litres de lait pour une meule d'emmental), les producteurs se sont organisés en fructeries où ils mettaient en commun leur lait.
C'est à partir du 16ème siècle que les fabrications de fromages qui, jusque-là, servaient de ressource alimentaire l'hiver pour les producteurs, ont commencé à être exportées en dehors de leur région d'origine vers les bassins de forte densité de population. Parallèlement, les communications s'améliorant entre les différentes régions productrices de fromages, les techniques de fabrication se sont améliorées du fait des échanges entre fromagers. L'aire de production des fromages s'est également élargie sous l'effet du développement démographique ou des crises politiques. Ainsi, chassés de leur pays d'origine (région de Berne en Suisse), les membres d'une secte religieuse, les anabaptistes, ont migré dans le secteur de Montbéliard et contribué à l'expansion de la zone de production vers les vallées de Haute Saône et les contreforts des Vosges.
De même, une sélection des vaches laitières s'est opérée dans les massifs montagneux des Vosges, du Jura et des Alpes du Nord, notamment au 19ème siècle avec la création de la race montbéliarde dans le Jura, à laquelle les producteurs sont depuis restés fidèles. Cette sélection a abouti à une meilleure qualité de lait et une plus grande productivité des filières fromagères.
Parmi les fromages de garde, l'emmental est sans conteste le plus grand en volume. Son nom fait référence à la vallée de l'Emme, en Suisse, d'où il est issu. Au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, sa fabrication s'est répandue dans l'est-central de la France, grâce aux progrès des technologies employées en fromagerie et à l'arrivée de fromagers suisses, venus suppléer le manque de main d'oeuvre pendant et après guerre. Depuis, son succès auprès des consommateurs a  sans cesse été grandissant. 
1976 - première affiche publicitaire
Au début des années 1970, pour faire face au développement des marchés, les fabrications d'emmental se sont industrialisées et déplacées vers des régions où les contraintes géographiques et climatiques sont moins pénalisantes et où des disponibilités en lait sont abondantes à faible coût, notamment dans le Grand Ouest de la France et dans le nord de l'Europe. Les fabricants traditionnels d'Emmental, tant en Suisse, en France que dans l'Allgaü allemand, se sont organisés pour préserver leur savoir-faire et proposer aux consommateurs des emmentals de qualité. Sont ainsi apparus sur le marché des emmentals faisant référence à leur origine et à la tradition : Emmentaler suisse, Emmental de l'Algaü; Emmental français est-central Grand Cru et Emmental de Savoie.
 Cette démarche a été entreprise dès 1976 par les fabricants de l'Est-Central de la France. La marque collective "Grand Cru" a été créée pour permettre l'identification d'un Emmental au lait cru de qualité supérieure, conforme à sa tradition. En 1979, le Label Rouge a été obtenu, les conditions de fabrication de l'Emmental Grand Cru étant désormais codifiées dans un référentiel technique homologué par le Ministère de l'Agriculture. Sa qualité supérieure est évaluée chaque année par des examens organoleptiques. Afin de protéger également l'aire géographique traditionnelle de fabrication de l'emmental en France, les opérateurs de la filière ont ensuite entrepris une démarche de protection de la dénomination "emmental français est-central" et obtenu en 1996 son enregistrement comme Indication Géographique Protégée (IGP) au niveau européen. 


Spécificités des terroirs de l'Est Central de la France

Haut Doubs
          La région « Est-Central » de la France est désormais centrée sur deux massifs montagneux (Vosges – Jura). Les conditions géographiques et climatiques difficiles observées dans cette région sont à l’origine de sa vocation laitière bovine, mettant en valeur la production herbagère et fourragère de ses prairies, tout particulièrement à travers la transformation du lait en fromages à la forme de meules à pâtes pressées cuites. Plusieurs facteurs expliquent les caractéristiques si spécifiques de l'Emmental Grand Cru.

Des facteurs d'usage 
Du fait de l’isolement des aires de production et de la rudesse du climat l’hiver, les circuits de collecte du lait sont courts, favorisant ainsi le maintien de multiples fromageries dans tout le territoire de l’est-central. Les fromageries fabricant de l’emmental français est-central fabriquent en moyenne 1000 à 1200 tonnes de fromages par an ; contre des volumes de production supérieurs à 50000 tonnes par an dans les fromageries de l’ouest de la France produisant de l’emmental au lait pasteurisé. Les fromageries font entièrement partie du patrimoine régional, du fait de leur lien étroit à leur terroir, et contribuent au maintien d’une activité économique et sociale dans les communes rurales de l’est-central de la France.

Des facteurs climatiques
Les massifs montagneux de l’est-central se caractérisent par des hivers longs et rigoureux, des étés chauds et relativement secs, ainsi que par une pluviométrie abondante avec un nombre important de jours de précipitations. Une variabilité importante en cours de saison ou d’une année à l’autre est également observée. Ce climat est particulièrement favorable à la production d’herbe et de foin de grande qualité (richesse en protéines ; profil en acides gras). Les caractéristiques des laits provenant des zones herbagères de l’est-central se distinguent par un taux de matière protéique plus élevé que dans l’ensemble du territoire français. Il s’agit d’une caractéristique essentielle pour l’aptitude des laits à la transformation fromagère.

Des facteurs botaniques et agronomiques
Les prairies de l’est-central de la France se caractérisent par une grande diversité botanique et microbienne. Cette diversité est préservée par les pratiques agronomiques des exploitants agricoles impliqués dans des filières de production de fromages au lait cru : AOC Comté, Beaufort, Abondance, Reblochon, Morbier, etc ... - IGP emmental français est-central et IGP Emmental de Savoie. Le maintien des cycles traditionnels de pâturage et de fenaison contribue au maintien de la biodiversité des prairies de l’est-central. Inversement, la pratique de l’enrubannage des meules de foin, interdite par le cahier des charges de l’emmental français est-central, est un facteur d’appauvrissement de la biodiversité, le fanage des prairies étant alors plus précoce (d’un mois en moyenne, avant montée en graine d’une grande partie des espèces présentes) qu’en production traditionnelle de foin. Les prairies de l’est-central sont fréquemment bordées de haies, ce qui, outre le maintien d’une plus grande diversité de faune et de flore sur le territoire, constitue un facteur de biodiversité microbienne pour le lait. Haies et prairies de l’est-central contribuent aussi à la qualité des paysages de la région et à son attrait touristique.

Des facteurs humains
Le grand nombre de fromageries présentes dans la région « Est-Central » favorise une richesse des échanges techniques entre fromagers au sein des syndicats de produits régionaux (AOC ; IGP ; Label Rouge), le maintien de nombreuses structures d’enseignement technique (production de lait avec les LEGTA, les Maisons Familiales et Rurales et autres structures d’enseignement privé ; fabrications fromagères : Ecoles Nationales de l’Industrie Laitière), la présence de plusieurs réseaux de recherche laitière (UMT de Poligny ; GIS Alpes du Nord), centres techniques (Actalia ; CentreTechnique des Fromages Comtois) et l’activité de plusieurs laboratoires d’analyse spécialisés. Cette densité d’échange et de conseil technique favorise la connaissance par le personnel des fromageries des techniques de fabrication traditionnelle et l’adaptation à la diversité des laits travaillés. 

Conséquences pour les caractéristiques de l'Emmental Grand Cru 

        L’obligation de pâturage (5 mois minimum) confère à l’emmental français est-central un lien étroit avec les différents terroirs constitutifs de la région Est-Central. L’essentiel de l’alimentation de base des vaches laitières et taries provient de la région de production : herbe pendant la période estivale, foin séché et récolté selon la tradition, provenant de l’exploitation durant l’hiver. La flore des prairies, et surtout la microflore du lait, influencent les caractéristiques organoleptiques de l’emmental français est-central, celui-ci étant par ailleurs obligatoirement fabriqué au lait cru. L’emmental français est-central se distingue ainsi des autres emmentals fabriqués en France par une texture de pâte plus souple et fondante en bouche, ainsi que par des arômes plus fruités. D’une fromagerie à l’autre, et d’une saison à l’autre, des nuances apparaissent toutefois dans les caractéristiques sensorielles des fromages, mettant ainsi en exergue la grande biodiversité des prairies de l’est-central.
            Ce lien au terroir est renforcé par l’interdiction d’utilisation d’aliments fermentés (ensilage ; balles rondes de foin enrubannées) et d’aliments complémentaires à base de plantes odorantes (crucifères ; …) qui peuvent pour les uns générer des fermentations butyriques et de l’acidité dans les laits, puis dans les fromages ; et pour les autres des arômes et odeurs désagréables pour le consommateur. Ces précautions sont essentielles pour permettre un affinage en caves de longue durée (12 semaines minimum contre 7 semaines pour un emmental français standard), selon la tradition.

Bien que le cahier des charges de l’emmental français est-central n’impose pas de races bovines en particulier, du fait de l’étendue de sa région de production, il convient de noter qu’une très grande majorité des troupeaux est composée de vaches laitières de races locales (Montbéliardes 85% du total ; Vosgiennes ; Simmental ; …), adaptées aux conditions climatiques de l’est central et sélectionnées pour la qualité fromagère de leur lait. Avec l’alimentation des vaches laitières, le facteur race est celui qui influence le plus les caractéristiques physico-chimiques du lait mis en œuvre dans la fabrication de fromages (rapport taux protéique/taux de matière grasse – microbiologie du lait).

L'affinage long de 12 semaines minimum constitue avec les caractéristiques intrinsèques des laits mis en œuvre, le principal facteur influençant le profil descriptif de l’emmental français est-central : présentation de la meule, avec une croûte propre, naturelle, solide, lisse, sèche, sans tare ni tache, ni piquée, de couleur jaune clair, une forme plus ou moins bombée selon la destination commerciale du produit, une pâte de couleur homogène, fine et souple ainsi qu’un goût franc et fruité caractéristique.


 

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